Il existe un monde mystérieux.

Un labyrinthe appelant à la flânerie onirique et au réveil de la nostalgie. Dans cet univers aux décors immersifs, l’imaginaire conduit à l’inspiration et à la rencontre de l’autre. De l’inconnu. Le temps s’y est arrêté entre passé et futur, à cet instant où l’impossible devient possible.

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Les coléoptères

De tous les animaux vivant sur la planète (bactéries exceptées), les coléoptères, souvent improprement appelés « scarabées » en constituent à eux seuls plus de 25 %, ce qui correspond à plusieurs millions d’espèces dont 410 000 ont déjà été répertoriées. À titre de comparaison, les mammifères, dont nous faisons partie, ne sont représentés que par environ 5 500 espèces connues.

Rien qu’au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, avec environ 20 millions de spécimens conservés dans 80 000 boîtes entomologiques, les coléoptères représentent plus de la moitié des collections de papillons et tous autres insectes confondus. Rangées sur leurs tranches, ces dizaines de milliers de boîtes occupent près de cinq kilomètres de rayonnages, qui ont avant tout un intérêt scientifique et patrimonial. Exception faite des espèces tropicales ou européennes de grandes tailles, comme les goliaths, les « rhinocéros » ou les lucanes (cerf-volant), le grand public comme les collectionneurs amateurs s’intéressent, il est vrai, beaucoup plus aux papillons (Lépidoptères), aux sauterelles (Orthoptères), aux libellules ou aux gigantesques phasmes qu’aux coléoptères.

Les coléoptères ont colonisé tous les habitats depuis les déserts jusqu’aux lacs d’eau douce.

Pourtant l’ordre des coléoptères est le plus diversifié de la classe des insectes. Selon les estimations les plus pessimistes, il en existerait plus d’un million d’espèces différentes, certains scientifiques disent deux millions, dont la plupart auront disparu, pour cause de déforestation ou d’éradication par les pesticides, avant même d’avoir été découverts.

Depuis les minuscules coccinelles (des milliers d’espèces sont encore plus petites) jusqu’aux géants Goliaths qui peuvent mesurer 12 à 13 centimètres et peser une centaine de grammes, ce qui en fait les plus lourds insectes volants, ils sont présents dans tous les principaux habitats, à l’exception des régions polaires et des milieux marins.

Certains sont détritivores, décomposant les débris de végétaux, d’autres se nourrissent de charogne ou d’excréments (coprophagie) comme les fameux « bousiers » qui déplacent, en les faisant rouler, de parfaites sphères de bouse ou autres excréments de mammifères, dont ils se nourriront plus tard ou dans lesquelles ils pondront leurs œufs. La perfection de ces boules était telle que les Égyptiens considéraient que le soleil ne pouvait se lever que grâce à un immense scarabée qui poussait l’astre comme une boule de bouse. Les croyances religieuses ont également fait de ces insectes un symbole d’immortalité et de résurrection : la consommation de fumier dans lequel le scarabée pondait ses œufs et nourrissait ses larves représentant en effet un cycle de renaissance. De nombreux coléoptères sont phytophages et mangent des feuilles ou l’écorce des arbres, d’autres s’alimentent de pollen, de fleurs et de fruits. Pour capturer certains gros spécimens les spécialistes les attirent avec des fruits pourris, dont ils se régalent surtout la nuit. On retrouve aussi des prédateurs et des parasites qui s’attaquent à d’autres insectes. L’exemple le plus connu est celui des coccinelles qui dévorent les larves de pucerons, et qu’on utilise comme agents de contrôle en agriculture.

Beaucoup entrent dans la chaîne alimentaire, de divers vertébrés, comme les oiseaux, les reptiles, les batraciens ou les poissons, voire les petits mammifères.

Les Égyptiens vénéraient les scarabées, grande famille de coléoptères.

S’ils sont connus depuis l’antiquité, les scarabées (immense famille de l’ordre des coléoptères) étaient véritablement vénérés par les Égyptiens. Les habitudes de certains scarabées ont poussé les Égyptiens à les comparer au soleil. Nous l’avons déjà évoqué, la boule qui peut atteindre la taille d’une orange, que les scarabées « bousiers » déplacent en la faisant rouler, était comparée par les Égyptiens à la course du soleil dans le ciel. Cette vénération des scarabées les a poussés à en faire des bijoux, dont on peut admirer des dizaines d’exemplaires dans les vitrines des collections du Musée du Louvre, comme dans pratiquement toutes les collections d’égyptologie, dans tous les musées du monde.

Le scarabée sacré pouvait passer d’un état à un autre, sortant de terre le matin tout comme le fait le soleil. Les Égyptiens en ont fait un véritable emblème du pouvoir royal, il représente le dieu du soleil. Le premier scarabée commémoratif fut réalisé pour un pharaon. C’était un scarabée sacré sur la face ventrale duquel, un texte était inscrit en hiéroglyphes. Ainsi, Amenhotep III  neuvième pharaon de la XVIIIème dynastie, créa plusieurs modèles de scarabées commémoratifs. On en connaît plus de 250 qui lui sont dédiés, retraçant divers événements commémoratifs de son règne, comme son mariage, ses batailles victorieuses, ses chasses aux lions ou aux taureaux, allusions à sa puissance. S’il fut celui pour lequel le plus grand nombre de scarabées-bijoux ont été retrouvés, avant et après lui et tout au long du cours du Nil, tous les pharaons vénéraient ces insectes.

Ce n’est que bien des siècles et même millénaires plus tard, que des « savants » et non plus des prêtres, s’intéressèrent aux scarabées et plus généralement aux coléoptères. De nombreux spécimens sont ainsi décrits dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert ou Dictionnaire raisonné des sciences, publié entre 1751 et 1772. Moins fragiles que les papillons, certaines collections de coléoptères, datant du XVIIIème siècle, dont celle de Lamarck (précurseur de la théorie de l’évolution, avant Darwin), nous sont parvenues et sont aujourd’hui conservées au Muséum national d’Histoire naturelle. Apparus il y a près de 300 millions d’années, les coléoptères font partie des rares organismes terrestres à ressembler à leurs ancêtres fossiles.

Inauguration de l’exposition de la collection Oberthür au Muséum le 13 mai 1953 : Guy Colas (de trois-quarts face) et André Descarpentries devant des boîtes de dynastines (scarabéides).

Aristote les a ainsi baptisés à cause des étuis (en grec koleos) qui protègent leurs ailes.

Nous devrions plutôt ici parler de caractéristiques communes, tant les modes de vie (biologie) des quelques 400 000 espèces actuellement recensées diffèrent selon les sous-ordres, les familles et bien évidemment selon les espèces. L’ordre des coléoptères, recense des insectes dits « holométaboles » (qui ont des métamorphoses complètes) et dont la forme adulte est toujours précédée par un stade nymphal immobile, ce qui est également vrai des papillons (ordre des lépidoptères), des « mouches » (ordre des diptères), des « abeilles » et de beaucoup d’autres insectes. Ce qui distingue les coléoptères et qui leur vaut d’ailleurs leur nom, est qu’ils sont dotés d’élytres protégeant leurs ailes. Le mot « coléoptère » vient du grec  koleós « fourreau » et pterón « aile ». C’est Aristote qui les aurait ainsi baptisé, terme repris vingt siècles plus tard par Linné dans sa classification zoologique.

Ces élytres, en fait la première paire d’ailes, sont rigides et constituent une sorte de blindage, protégeant efficacement le thorax et surtout l’abdomen de l’insecte. Beaucoup d’insectes que nous connaissons comme les coccinelles, les scarabées, les lucanes (cerf-volant), les hannetons, les charançons par exemple, possèdent ces élytres (ailes du dessus transformées en étuis protecteurs) et sont donc des coléoptères. 

Entre autres caractéristiques, de la minuscule coccinelle aux géants Goliath ou Titan, ils possèdent un revêtement rigide (exosquelette) qui outre les élytres, les protège des chocs ou des prédateurs. Leurs régimes alimentaires sont des plus variés, végétariens, carnivores, charognards, détritivores, coprophages, etc. et leurs permettent selon les espèces, de coloniser pratiquement tous les milieux. Essentiellement terrestres, ils vivent sous presque tous les climats et ont colonisé tous les biotopes continentaux, terrestres et d’eau douce, à l’exception de l’Antarctique.

Le plus grand coléoptère européen est le Lucane « cerf-volant ».

Pour revenir à leurs élytres et à leur exosquelette rigide, je me souviens quand je pêchais le saumon dans le gave d’Oloron (à l’époque Basses-Pyrénées, aujourd’hui Pyrénées atlantiques) au mois de juillet, et que je campais à l’abri d’un grand chêne, dans une petite tente canadienne, que presque toutes les nuits, des lucanes (Lucanus cervus ou cerf-volant) soit en tombant, soit en volant, en heurtaient le double toit en coton, avec un bruit mat. Tôt le matin, en fait au lever du jour, j’en trouvais souvent au pied de ma tente, engourdis dans l’herbe par la rosée de la nuit. Comme je préparais l’École vétérinaire et que je m’intéressais fort aux choses de la Nature et tout particulièrement en tant que pêcheur à la mouche aux insectes, je les ramassais et les conservais dans une boîte en carton, avec quelques rameaux de chêne. À la fin du mois de juillet, quand la pêche au saumon fermait et que je rentrais à Paris, j’en avais souvent une bonne vingtaine que je transvasais ensuite dans un vivarium improvisé à partir d’un vieil aquarium.

J’en échangeais quelques-uns avec des amis collectionneurs de papillons, mais en gardais toujours une dizaine, mâles et femelles dans mon vivarium. Lors de mon premier « ramassage » et lors de ma première nuit, de retour dans ma chambre où j’avais installé le vivarium sur une étagère, non loin de mon lit, je fus réveillé par des craquements bruyants comme si quelqu’un cassait des noix, en les broyant à la main à côté de mon oreiller. Je n’y prêtais guère plus d’attention et me rendormit, croyant avoir rêvé. La nuit suivante, les mêmes bruits de branches sèches cassées, me firent allumer la lumière. Les craquements venaient du vivarium et je vis à travers la vitre, deux grands lucanes mâles dont les énormes mandibules, qui peuvent effectivement faire penser à des bois de cerf, s’enlaçaient l’un, l’autre, en tentant de se broyer mutuellement le thorax et l’abdomen. 

Si le Lucane cerf-volant est considéré comme le plus grand coléoptère d’Europe, c’est justement du fait des mandibules géantes dont est affublé le mâle. Ces mandibules hypertrophiées, qui peuvent atteindre 7 à 8 centimètre à elles seules, font justement penser aux bois du cerf, d’où le nom de cerf-volant pour désigner cet insecte, quand il s’agit d’un mâle. Seul celui-ci dispose de telles mandibules qui forment comme une paire de grandes pinces. La femelle en effet n’a que des mandibules courtes (entre 1 et 2 centimètres) qui font office de petites tenailles pointues qu’elles utilisent pour s’enfoncer dans le bois pourri et y pondre leurs œufs. Le Lucane cerf-volant emploie ses pinces géantes comme armes de combat lors d’affrontement entre mâles : la concurrence entre ces grands scarabéidés est en effet féroce, et leurs joutes donnent souvent lieu à des combats impressionnants. Le vainqueur est celui qui aura retourné son adversaire sur le dos, et pourra ainsi s’accoupler avec la femelle convoitée.

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