Charles Ritz
Charles Ritz
Comme l’écrivait Charles Ritz : « Ce qui fait le charme de la pêche à la mouche, ce sont les nombreux échecs qu’on enregistre et les imprévus qu’on arrive à vaincre. À soixante ans, je suis plus heureux que jamais chaque fois que je prévois la possibilité d’obtenir une montée sur mon artificielle, si je ne commets pas de faute.»
Ces lignes extraites de Pris sur le vif au chapitre des confessions, résument une philosophie de la pêche à la mouche en même temps qu’un désir d’apprendre et de perfectionnement qui jusqu’à la fin de sa vie ne devaient pas quitter Charles Ritz.
Charles Ritz : dans son atelier secret, redonnant vie à des cannes achetées chez les brocanteurs new-yorkais.
Avant de devenir un des plus grands pêcheurs à la mouche et fabricants de cannes au monde, il avait fait ses classes dans l’hôtellerie, à New York, au Ritz Carlton où son père l’avait envoyé en 1916. Dans les sous-sols de l’hôtel, il s’était aménagé une pièce où il raccourcissait, tierçait, déplaçait les viroles, changeait les anneaux, revernissait des cannes en refendu qu’il achetait chez des brocanteurs new-yorkais. Tout ceci, nous raconte-t-il, « au grand désespoir du directeur de l’hôtel qui supportait mon audace parce que j’étais le fils de papa ». Très vite, parmi les clients pêcheurs de l’hôtel, à qui il faisait essayer ses créations, sa réputation de technicien es-refendu se répandit, et un jour il retrouva une de ses cannes dans le plus chic magasin de pêche du monde, sur la Cinquième Avenue, chez Abercrombie & Fitch. Elle était trente fois plus chère qu’il ne l’avait payée dans un pawn shop (mont-de-piété), et il n’avait fait qu’en enlever cinq petits centimètres.
« Si seulement, lui dis-je, je pouvais visiter votre atelier de Highland Mills.»
En 1922, alors qu’il est devenu directeur-adjoint à New York, à l’occasion d’un de ses nombreux week-end de pêche sur les rivières des Catskills, à 150 kilomètres au nord de New York, il fait la connaissance de Fred Payne, un des pionniers et ténors avec Hiram Léonard de la construction des cannes en bambou refendu. De ce jour là, nous dit-il, date mon initiation. « Si seulement, lui dis-je, je pouvais visiter votre atelier de Highland Mills, quelle joie pour ma passion de bricoleur. Il m’y autorisa et à partir de là je passais avec lui la plupart de mes week-end, les samedis dans l’atelier, apprenant la fabrication, et les dimanches sur la rivière, les oreilles grandes ouvertes à ses précieux conseils.»
C’est dans l’arrière-boutique qu’il reçoit ce que Paris compte de « fêlés de la mouche ».
En 1928, à la demande de sa mère –son père et son frère sont morts à la fin de la guerre– Charles Ritz revient en France mais comme Madame César Ritz tient l’hôtel de la place Vendôme de main de maître, pour s’occuper il ouvre un magasin de chaussures de luxe rue du Faubourg Saint-Honoré. Bien qu’il invente dans les années trente, la chaussure « aprés-ski », ce magasin ne sera qu’une façade. C’est dans l’arrière-boutique que les choses sérieuses se passent. Là, en compagnie de Pierre Creusevaut, Charles Ritz fabrique des cannes, équilibre des soies, bricole des moulinets, et tous les soirs à partir de six heures, reçoit ce que tout Paris compte de « fêlés de la mouche ». Les comités de rédaction de la revue Au bord de l’eau avec Tony Burnand, Roger Pujo, Louis de Boisset se tiennent également là, dans un bric à brac invraisemblable de cannes dont le vernis sèche, de pots de colle, d’étaux, de limes, de plumes, car on y montait aussi des mouches…
Il fera de Pierre Creusevaut le champion du monde « mouche et poids » que l’on sait.
Dès son retour en France, Charles Ritz se rend compte que : « mes amis utilisaient tous un matériel beaucoup plus lourd que le mien, selon la méthode anglaise, et que mes petites cannes légères américaines me donnaient de bien meilleurs résultats.» En fait, que ce soit sur les bords de la Risle ou de l’Andelle, ou sur les pelouses du Bois de Boulogne lors des concours de lancer très à la mode pendant l’entre-deux-guerres, il fait merveille. En 1930, 31 et 33, il est champion de France amateur des épreuves de précision « petite rivière » et en distance prouve qu’avec une canne de moins de 130 grammes il est possible de lancer à plus de trente mètres. C’est lui qui va mettre le pied à l’étrier à Pierre Creusevaut et le conseillera pour en faire le champion du monde que l’on sait.