Il existe un monde mystérieux.

Un labyrinthe appelant à la flânerie onirique et au réveil de la nostalgie. Dans cet univers aux décors immersifs, l’imaginaire conduit à l’inspiration et à la rencontre de l’autre. De l’inconnu. Le temps s’y est arrêté entre passé et futur, à cet instant où l’impossible devient possible.

Une utopie merveilleuse.

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Les moulinets à mouche

La technologie moderne, depuis un bon demi-siècle, nous offre des moulinets avec des freins progressifs, indéréglables voire « anti-reverse ». Ces moulinets ont tous, sauf le Bogdan, été fabriqués pour, dès la fin des années 60, se mesurer à la mouche à des grands et puissants poissons marins comme le tarpon, le permit, le sailfish et les thons ou petits marlins. Les utiliser comme on le voit faire aujourd’hui pour pêcher le saumon, les steelheads ou les très grosses truites à la mouche, est un véritable crime de lèse-majesté.

Quand je vois, même sur les puissantes rivières à saumons norvégiennes ou russes, du type de la Kola, Yokanga ou Kharlovka, presque tous les pêcheurs utiliser des cannes à deux mains de 15 ou 16 pieds, mais surtout des moulinets de type Bogdan, Abel, Sea Master, Bauer voire Billy Pate « anti-reverse », à frein progressif et indéréglable, je ne vois vraiment pas ce que l’on peut qualifier dans cette activité, de pêche… « sportive ». Avec ces moulinets dont les derniers modèles de frein à disque sont même équipés de systèmes ABS comme sur les voitures de formule 1, quelle chance a le poisson de gagner la partie ??… Où est le sport ?

Et quel plaisir peut éprouver le pêcheur dans une telle confrontation aussi disproportionnée en sa faveur ? Au tarpon, au sailfish, au permit, je conviens qu’il vaut mieux disposer d’un moulinet à mouche avec un frein, mais au saumon, je ne me souviens pas d’avoir perdu un seul poisson et j’en ai pris quelques gros dans des endroits difficiles, pour cause d’absence de frein sur mes moulinets. Si le pêcheur n’est pas capable d’arrêter un saumon, une grosse truite de mer ou même un bonefish en freinant avec ses doigts et en utilisant un moulinet avec un simple cliquet, il vaut mieux qu’il opte pour un autre sport, qu’il joue au golf ou à la pétanque, mais laisse les poissons tranquilles. 

Souvenons-nous que pendant plus de cent ans, soit de 1860 à 1960, des dizaines de milliers de gros et même de très gros saumons ont été capturés dans les îles britanniques ainsi qu’en Norvège, alors que les freins n’existaient pas sur les moulinets à mouche. Sur certains modèles comme les gros Perfect, seul un régulateur de tension permettait d’ajuster une petite pression sur le cliquet.

En cas de démarrage brutal et prolongé d’un saumon, c’est en utilisant ses doigts ou la paume de sa main que le pêcheur devait ralentir la folle course du poisson. Et, quand on voit la formidable série de saumons de plus de 50 livres qui ont été pris en Écosse sur la Tay et la Tweed surtout, entre 1880 et 1910, il faut croire qu’un bon cliquet, tout juste suffisant pour empêcher l’emballement de la bobine, permettait de tels exploits. 

Et, comme les officiers de la Reine Victoria et les lords et pairs du Royaume n’avaient pas les phalanges cassées en permanence, on doit admettre qu’ils devaient savoir se servir d’un moulinet sans frein. Je viens de le dire, et je le répète, pêcher le saumon à la mouche avec un moulinet équipé d’un frein progressif, indéréglable et sophistiqué du type de ceux qui équipent les Bogdan, Billy Pate, Loop Evotec et autres Abel, ne laisse aucune chance au poisson.

Quand nous parlons de pêches sportives, rappelons-nous, comme disait Hemingway, que c’est le poisson qui a l’hameçon dans la bouche et que diantre, n’ayons pas peur de nous cogner un peu durement les phalanges sur un retour de manivelle…

Je me souviendrai toujours sur la Kharlovka, il y a un bon quart de siècle, quand, après avoir cassé la manivelle de mon vieux St. George de Hardy, Jacques Montupet me prêta le Bogdan de « secours » qu’il avait dans sa musette.

Nous étions fin juin sur les bords du Barrel pool, la Kharlovka était très haute et les saumons que nous prenions depuis trois jours étaient grands, méchants et couverts de poux de mer. Je remplaçai aussitôt sur le talon de ma 9 pieds mon St. George par le Bogdan et continuai de peigner le grand courant de tête du Barrel…

Au troisième ou quatrième lancer, badaboum ! J’accrochai un 11/12 kg tout frais qui décide, après deux ou trois hésitations vers l’amont, de repartir à toutes nageoires vers la mer de Barentz qu’il avait quitté, j’en suis sûr, depuis moins de trois ou quatre heures. Jacques m’avait réglé le frein du Bogdan sur la position 7.

Si un gros poisson descend, m’avait-il prévenu, tu peux lui mettre « Bogdan 8 ou même 9 » en poussant le levier de tension du frein. Comme mon poisson était gros et descendait, et que dans l’eau jusque sous les bretelles, je ne pouvais revenir vite vers la berge pour tenter de le suivre, je lui ai mis « Bogdan 9 » et l’ai asphyxié en moins de cinquante mètres.

Je l’ai arrêté bien avant qu’il n’atteigne les rapides de la queue du pool, en plein milieu du Barrel. Son deuxième démarrage contre « Bogdan 9 » lui permit de prendre trente mètres tout au plus, et une troisième tentative alors que son pauvre cœur devait être près d’exploser, sortit péniblement quinze mètres de soie du moulinet.

J’échouais ce splendide poisson sur les galets moins de dix minutes après qu’il eut mordu.

À aucun moment mes doigts n’avaient eu besoin d’appliquer la moindre tension sur la ligne, ou sur les flasques internes de la bobine. Je n’avais pas eu besoin de courir sur les galets pour le suivre et le poisson était là à mes pieds, vaincu non par mon savoir-faire, mais par la technologie du frein à disque que Stanley Bogdan incorpore dans ses moulinets. 

Jacques n’a pas compris quand je lui ai rendu son Bogdan, quand j’ai remis mon St. George, et que j’ai taillé un petit morceau de bois dans une branche de bouleau, pour faire une « poupée » (manivelle amovible) me permettant de mouliner en l’introduisant dans un des nombreux trous qui ajourent la bobine du St. George. Et, j’ai continué de pêcher pour le reste de la semaine avec un petit bout de branche dans ma poche en guise manivelle.

Le fait de toucher du bois a dû me porter chance puisque j’ai encore pris de nombreux et magnifiques poissons, mais qui eux, c’est le cas de le dire, m’ont tous donné du fil à retordre, m’ont fait courir sur les galets et m’ont abrasé la pulpe de l’index et du majeur de la main gauche. Mais, ces saumons-là, je pense les avoir mérités et vaincus à la loyale.

Mon premier bonefish, qui reste mon plus gros, je l’ai pris en octobre 1976 sur les flats de Key Biscayne devant les immeubles du front de mer de Miami Beach. Il pesait douze livres moins une once (trente grammes) et a été enregistré au concours permanent du Miami Herald, comme le deuxième plus gros pris à la mouche, cette année-là.

Quand je montre les photos de ce poisson avec la canne et le moulinet, beaucoup d’amis pêcheurs ne veulent pas croire que je l’ai pris avec mon vieux Hardy Princess… Et encore, ce poisson n’a pas été suivi avec le bateau, car il « tailait » (faisait du tailing) sur un flat très peu profond, et les skiffs de l’époque ne permettait pas d’avancer dans moins de 40 centimètres d’eau, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est donc à pied que je l’ai approché et quand j’ai réussi à le faire mordre, je me trouvais loin du bateau. Son premier démarrage a déroulé un peu plus de cent mètres de backing je le sais car j’avais fait une marque au feutre noir indélébile sur le Dacron blanc–, en moulinant, j’ai rentré la soie WF6F sur le moulinet, et il est reparti, une cinquantaine de mètres de backing sortit cette fois-là.

Enfin, lors de son dernier et troisième démarrage que je freinais comme les autres en appuyant mes doigts à l’intérieur de la flasque de la bobine, il ne m’a pas pris plus de trente mètres de ligne de réserve. Alors, quand je vois aujourd’hui la majorité des pêcheurs de flats prendre des bonefish « naïfs » de surcroit aux Seychelles, et pesant rarement plus de cinq livres, avec des cannes de 8 et des moulinets Billy Pate, Abel ou Bauer, je ne vois pas là ce qu’il y a de glorieux…

En dehors de la difficulté de les faire mordre, quand ils sont très éduqués, comme dans les Keys de Floride, le principal intérêt de la pêche du bonefish est d’écouter la chanson du moulinet et d’essayer de les arrêter avec les doigts. Si vous me dites que vous aimez bien les voir sauter hors de l’eau, il faudra trouver autre chose.  

 

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