La pêche à la mouche
La pêche à la mouche
« D’où vient que les Français restent insensibles aux séductions d’un sport qui, depuis des centaines d’années, fait les délices de nos voisins anglais ? »
À la fin du XIXème siècle, Albert Petit, alors président de la Cour des Comptes, et auteur d’un splendide livre intitulé La truite de rivière – Pêche à la mouche artificielle, s’interrogeait : « D’où vient que les Français restent insensibles aux séductions d’un sport qui depuis des centaines d’années, fait les délices de nos voisins anglais ? ».
S’il est vrai qu’outre-Manche, les premiers récits de pêche à la mouche artificielle, datent du milieu du XVème siècle, c’est à la fin du XIXème, en pleine splendeur de l’ère victorienne, que fut codifié le noble art du fly-fishing.
Le grand maître, nous devrions dire grand prêtre, de cette codification, Frederic Halford, véritable intégriste de la mouche sèche, en fixa des règles tellement strictes et rigides, qu’il l’enferma dans une tour d’ivoire pendant le demi-siècle qui suivit.
De cette époque datent les nombreux préjugés qui, aujourd’hui encore, courent sur le compte de la pêche à la mouche. Loisir d’aristos ou de snobs, qui se réunissent dans des clubs sentant la naphtaline ou pêche de riches oisifs sur des parcours privés.
Paradoxalement, c’est en France que cette image rétro, élitiste, du pêcheur à la mouche a le plus perduré, disons jusque vers la fin des années soixante. Remarquons au passage, qu’en dépit de l’abolition, au cours de la fameuse « nuit du 4 août » des privilèges du clergé et de la noblesse, c’est dans notre pays, en matière de chasse et de pêche, que les distinctions sociales sont restées le plus marquées.
En Angleterre où les privilèges n’ont pourtant pas été abolis, les lords et autres pairs du royaume ont depuis longtemps été rejoints dans leur passion du « fly fishing » par plus d’un million de roturiers. Tous les étés, d’ailleurs, très démocratiquement, le roi Charles III fait une démonstration de ses réels talents de moucheur à l’occasion du Game Fair, qui réunit plusieurs centaines de milliers de visiteurs.
Aux États-Unis, une enquête réalisée à la demande des fabricants de matériel de pêche, a révélé que l’année dernière, vingt millions d’Américains avaient au moins une fois pêché à la mouche, et que sept millions d’entre-eux pratiquaient régulièrement ce loisir.
De nombreux présidents américains, depuis Roosevelt en passant par Hoover, Eisenhower, Jimmy Carter, les Bush père et fils s’y adonnent régulièrement… À l’Élysée, le seul pêcheur de truites qui ait laissé un souvenir fut Vincent Auriol, mais il les prenait plus prosaïquement à… l’asticot.
Rien n’est, en effet, plus facile que de prendre une truite, espèce pourtant considérée comme l’aristocratie de la gent aquatique, avec un ver, un morceau de fromage ou un asticot enfilés sur un hameçon. En revanche, faire mordre le même poisson sur une mouche artificielle devient tout un art où le pêcheur doit faire preuve de talent et d’abnégation.
Capturer une truite avec une mouche artificielle, revient finalement à compliquer à l’extrême l’acte de prédation, qui, depuis Cro-Magnon, sommeille en chaque coureur de rivière.
Le respect de la proie va alors de pair avec la ritualisation de sa capture et des considérations esthétiques, supplantent des préoccupations qui étaient jusque-là purement alimentaires. Quand il ne s’est plus agi, uniquement de rapporter des protéines pour nourrir la tribu, l’acte de pêche s’est transformé en loisir, voire en sport, et la proie est devenue un adversaire ou un partenaire de jeu que l’on respecte et qu’on n’est plus obligé de tuer.
Tout dans la pêche à la mouche
est beau, élégant, noble.
Le geste du lancer, une fois maîtrisé, se perfectionnera de lui-même et la beauté du style viendra tout naturellement ensuite. De nombreux moucheurs reconnaissent que même quand les poissons ne sont pas au rendez-vous, ils se font plaisir, simplement en lançant. De même que l’impact d’un drive réussi sur une balle de golf, le poser en précision d’une petite mouche à plus de quinze mètres, est une satisfaction en soi.
Le matériel de pêche est beau voire magnifique pour les cannes en bambou refendu, véritables objets d’art. Les matériaux modernes, comme la fibre de carbone issue des technologies de l’espace, permettent certes des performances accrues en matière de lancer, mais n’auront jamais la noblesse du bambou.
Le fameux gobage, dont le bruit mouillé rappelle celui d’un baiser.
Et puis, il y a la beauté des poissons et des endroits où on les trouve. Les truites sans être aussi brillamment colorées que certains poissons tropicaux, sont l’élégance même. Élégance de formes, de robe, avec juste ce qu’il faut de taches de couleur pour être chic, sans être criard.
Outre la perfection de leurs formes et la beauté de leurs robes, les truites ont pour principal attrait auprès du pêcheur, la vivacité de leurs mouvements, et la discrétion de leur mode d’alimentation, en surface au milieu d’un petit rond, le fameux gobage, dont le bruit mouillé rappelle celui d’un baiser.
Pour les séduire et mieux les attraper, comme pour les femmes, les pêcheurs doivent rivaliser d’adresse et d’assiduité. Ils leurs offrent des mouches artificielles, assemblages de plumes et de fils colorés artistiquement enroulés autour d’un hameçon, qui sont de véritables petits bijoux mais ne ressemblent plus, ou de très loin, aux insectes naturels dont elles se nourrissent.
Pourtant, si elles leurs sont bien présentées, avec l’art et la manière, les truites se laisseront leurrer par ces mouches de fantaisie. Peut-être tout simplement parce qu’elles aussi, les ont trouvé belles. Alors, le pêcheur pourra les admirer de près, les tenir un instant dans sa main, avant de leur rendre leur liberté.