Les mouches à truite artificielles
Les mouches à truite artificielles
Dans ce domaine, une fois n’est pas coutume, les cinquante dernières années n’ont guère apporté de progrès. Bien au contraire pourrions-nous dire ! En effet, les mouches artificielles, que ce soit pour la truite, l’ombre ou le saumon, étaient à l’époque fabriquées en petites séries par de véritables artistes, plus qu’artisans, un peu partout dans nos régions.
Les Ogareff, de Chamberet, Devaux, Poirot, Bresson, n’utilisaient pour la confection de leurs merveilleuses collections d’artificielles que les meilleures plumes et matériaux de montage. Ceux qui ont la chance d’avoir conservé dans la naphtaline (les mites sont encore plus friandes de plumes que de laine) des mouches fabriquées en Europe entre les années trente à soixante, savent qu’ils détiennent un précieux trésor.
Personnellement, et même si je sais que je pêche avec des sublimes raretés, vieilles d’au moins trois-quart de siècle, j’emmène toujours avec moi, que ce soit pour pêcher la Charentonne normande, la Ribnik ou la Pliva bosniaque, ou la Laxa y Adaldal islandaise, deux boîtes de mouches sèches dont m’avait fait cadeau Charles Ritz dans les années soixante-dix.
Elles contiennent des mouches montées par Madame de Chamberet, voire par son mari avant-guerre, ainsi que des montages oubliés du Colonel Ogareff. Ces mouches dont les ailes, contrairement aux modèles anglais, étaient fabriquées en fibres de hackles et non pas en plumes découpées, n’ont si ce n’est pour les CdC (Cul ou Croupion de Canard), toujours pas d’équivalent aujourd’hui.
À ce propos, et pour rester avec les mouches sèches, il faut ici remarquer que si les Anglais, avec Frédéric Halford, ont codifié, quelquefois de façon un peu stricte et rigide, la pêche en mouche sèche, la fabrication de leurs dizaines de modèles imitatifs aux ailes en plumes découpées n’a jamais été à la hauteur des sublimes chalk streams (Test, Itchen, Avon, Kennet…) sur lesquels elles étaient lancées.
Seules les mouches noyées anglaises, destinées à la truite et aux truites de mer, sans parler bien évidemment des mouches à saumons, sont susceptibles de figurer dans une collection. Ceux d’entre nous, et ils ne doivent plus être tout jeunes, qui ont la chance d’avoir dans leurs boîtes, des mouches sèches de la collection Gallica, voire des mouches Poirot, savent qu’ils détiennent de petits trésors d’imitations entomologiques.
Les maîtres de l’imitation des mouches à truite.
Ce furent pourtant Marryat et Halford, suivis de Skues, qui dès la fin du XIXème siècle, avaient posé les bases de la connaissance des insectes dont se nourrissent les truites, et de leurs imitations en plumes. Mais réaffirmons le ici, c’est Léonce de Boisset (le Halford français) qui publia en 1939 Les mouches du pêcheur de truites, ouvrage quatre fois réédité jusqu’en 1971, qui, pour ce qui est des imitations d’éphémères, voire de phryganes, arriva à la perfection des montages.
Bien sûr de Boisset avait su faire appel aux spécialistes du Muséum d’Histoire naturelle, comme Mademoiselle Verrier, pour parfaire sa connaissance des éphémères, de très loin les insectes les plus importants à connaître pour un pêcheur de truites et d’ombres. Avec ses compères lyonnais de pêche, comme le docteur Massia et Gérard de Chamberet, ils créèrent la collection de mouches Gallica, qui pendant un demi-siècle, domina le marché des mouches à truite.
D’autres monteurs français comme Aimé Devaux, Poirot, Bresson, madame Marty, Guy Plas, Yann Lefèvre et que me pardonnent ceux que j’oublie, perpétuèrent jusqu’aux années 80, la tradition d’excellence et de qualité de montage des artificielles françaises.
La plupart de ces monteurs avaient leurs propres élevages de coqs dont ils « plumaient » à vif les plus beaux hackles. C’était avant que, mondialisation et main d’œuvre à bas coût obligent, des millions de mouches « bon marché » fabriquées au Kenya ou en Indonésie ne commencent à remplir les casiers des marchands d’articles de pêche.
Mais ici, contrairement aux cannes, moulinets, fils et leurres dont plus de 95 % de la production aujourd’hui vient du Japon, de Chine ou de Corée, le marché français de la mouche a su résister et même pour certains monteurs comme Devaux ou Petitjean, su s’exporter en Europe et même, consécration suprême, aux États-Unis ou au Japon.
Pour la plupart des moucheurs en rivières, le prix d’une mouche de qualité ne se discute pas et quelques monteurs français, véritables artistes de la profession, continuent encore aujourd’hui, de vivre de la fabrication et de la vente en direct ou dans quelques magasins spécialisés, de leurs artificielles.
Les mouches à collectionner
Nous l’avons dit, si vous retrouvez des boîtes à mouches ayant appartenu à vos pères ou grands-pères, et que dans les cases, figurent des mouches sèches avec de minuscules étiquettes indiquant Madame veuve de Chamberet, mouches Poirot ou Devaux, voire plus récemment Yann Lefèvre, épinglez-les dans une boîte entomologique type muséum…
Les mouches Guy Plas ou Bresson méritent le même traitement, à moins que comme moi, si vous en retrouvez beaucoup, vous n’ayez la hardiesse ou la folie de pêcher avec en 2022…
Prendre, comme j’ai eu la chance de le faire, il y a quinze jours, des truites et ombres hyper éduqués de la Pliva ou de la Neretva (Bosnie), avec des imitations de Chamberet, de Poirot ou de Devaux est un plaisir à nul autre pareil.