Les lignes en soie naturelle
Les lignes en soie naturelle
Dans L’art de la pêche à la mouche sèche, le docteur Pequegnot écrit que « pour l’amateur raffiné, rien ne remplacera la soie naturelle pour les lignes de pêche, qui, à ses qualités propres, ajoute l’attrait d’une matière noble et constitue un élément traditionnel de l’esthétique de la pêche à la mouche.»
Certes, l’esthétique fait partie intégrante de notre sport, mais les lignes en soie naturelle présentent également, ce qui ne nuit en rien à la beauté du geste, une supériorité flagrante en matière d’efficacité et de résultats, par rapport aux lignes en plastique, dans bien des situations rencontrées au bord de l’eau.
Certes, sur les bords d’un réservoir, un jour de grand vent, où vous présenterez des streamers à des truites lâchées la semaine précédente, cette supériorité ne sautera pas forcément aux yeux. Mais sur le Haut-Doubs ou sur la Loue, face à des truites zébrées qui y voient clair ou sur la Dordogne en fin de saison quand les ombres ont vu défiler des centaines de mouches et qu’ils guettent un début de dragage, ce n’est la plupart du temps pas la mouche, mais la soie utilisée qui fera la différence.
Avec une soie flottante en plastique, les arrachés mettent les truites en éveil.
Qui dit fort diamètre en pointe, dit poser moins discret, ce à quoi les bons pêcheurs essayent de remédier en allongeant exagérément le bas de ligne, avec les inconvénients en matière de précision du lancer et de ferrage que cela implique. Mais, en action de pêche, une soie n’est pas destinée qu’à être posée le plus délicatement possible, ce qu’avec un minimum de technique on arrive généralement, à faire assez bien. Il va ensuite, également falloir l’arracher.
Or si dans la nombreuse littérature sur le sujet, des dizaines d’auteurs ont incriminé un poser trop bruyant, comme cause du refus de l’artificielle voire de la fuite du poisson, bien peu se sont souciés des conséquences de l’arracher. Or, bien souvent avec les soies en plastique, les arrachés sont désastreux. Il suffit pour s’en convaincre, d’observer sur un plan d’eau type réservoir un jour sans vent, ou sur un lisse de queue de fosse, la « commotion » qui se produit en surface quand on arrache une soie en plastique en comparaison d’une soie en soie correctement graissée.
N’oublions pas que les sons sont intégralement et beaucoup plus rapidement transmis dans l’eau que dans l’air, et ne doutons pas que beaucoup plus que nos posés, ce sont nos arrachés qui la plupart du temps mettent les truites en éveil.
Une ligne en soie naturelle, à la pointe longue et fine bien graissée va couper pourrait-on dire comme une lame de rasoir le film de l’eau alors qu’une ligne en plastique du fait de son épaisseur aura tendance à adhérer fortement (phénomène de tension superficielle) à la surface qui se déchirera littéralement lors de l’arraché.
La pointe fine des soies naturelles permet l’utilisation d’un bas de ligne de longueur normale (disons 2,5 à 3,5 mètres) mais surtout dont le départ n’excédera pas le 35/100ème. D’où l’avantage, là encore, en matière de discrétion de la présentation, par rapport aux bas de ligne de fort diamètre (tresse ou monofilament) nécessaires pour équilibrer et prolonger la pointe épaisse d’une soie plastique.
La finesse de la pointe alliée à la souplesse naturelle des tresses en soie naturelle (une fois que la ligne est « rodée »), permet naturellement pourrait-on dire, des posés plus sinueux, moins en ligne droite qu’avec une soie plastique. Énorme avantage retardant au maximum l’apparition du funeste dragage.
Cette souplesse de la soie naturelle est de plus, très agréable, la ligne ne gardant pas la « mémoire » de son enroulement sur le moulinet.
Enfin, quel que soit le temps, chaud ou froid, la soie naturelle restera agréable à lancer et à travailler dans la main gauche. Par temps froid, comme c’est souvent le cas au saumon en début de saison, les lignes en plastiques se raidissent et sont difficiles notamment à repositionner (le fameux mending des Anglo-Saxons), alors que par temps très chaud, au contraire elles se ramollissent excessivement, ont tendance à faire des nœuds et ont la consistance de spaghettis trop cuits.
Dans les pêches à longue distance, ombre sur les grandes rivières du type Dordogne, mais également au saumon, l’apparition de nœuds « spontanés » (appelés souvent wind knots alors que ce sont presque toujours les faux lancers et non pas le vent qui sont à l’origine de leur formation) est certainement pour cette même raison de densité et de souplesse de la soie naturelle, extraordinairement réduite.
Quand on sait que sur les meilleurs nylons, ce type de nœud une fois serré au cours de la bagarre avec un beau poisson, peut diminuer des deux tiers la résistance initiale du bas de ligne, on comprend mieux que de nombreux pêcheurs de saumon ne jurent que par leur vieille King Eider ou King Fisher.
Les soies anglaises sont ce qui s’est fait de mieux en matière de ligne à mouche.
On a beaucoup reproché aux lignes en soie naturelle leur fragilité et surtout les soins qu’il faut leur prodiguer pour leur garder leurs qualités. N’exagérons rien, car à moins de battre l’eau toute une journée, mais c’est alors de mouche noyée qu’il s’agit, une soie bien graissée, donc pour pêcher en « sèche » sur des gobages, ne nécessitera au pire qu’un seul regraissage de la pointe en cours de pêche.
Après chaque partie de pêche, il suffit de sortir la soie du moulinet et de la faire sécher en l’étalant pour la nuit en larges spires tombantes sur le dossier d’une chaise placée à dix ou vingt centimètres du radiateur généralement anémique, que l’on trouve dans les chambres des hôtels de pêche.
Le lendemain matin, elle est sèche et il suffit de la regraisser, pour qu’elle flotte de nouveau parfaitement pendant 4 à 6 heures d’utilisation.
La première ligne à mouche en soie naturelle imprégnée
« Je me procurais, au prix de trois francs, un écheveau de petite ficelle de soie grège de 70 mètres de longueur. Il me fut vendu au poids dans un magasin en gros de la rue Saint-Denis. Je savais que telle qu’elle était, cette ficelle ne pouvait servir; qu’elle se tordait à l’air et à l’eau; que détrempée, elle ne se prêtait pas à un lancer rapide comme le veut la pêche à la mouche. Je parvins à corriger tous ces défauts. Moyennant quelques centimes, un fabricant de vernis me remit une couleur composée d’huile siccative, d’un peu de céruse et d’une teinture verte. Après avoir accroché à un tronc d’arbre un des bouts de ma ficelle, je la frottai fortement et à plusieurs reprises avec cette préparation dont, pour cela, je versais des gouttes sur un petit morceau de peau. Ce travail fini, je laissai, pendant plusieurs jours, ma ficelle sécher au grand air, et, en résultat, je me trouvai possesseur, au prix total de 3 francs 50, de deux lignes de 35 mètres chacune, d’une finesse et d’une force qui ne laissent rien à désirer, qui ont plus de raideur que n’en a le crin lui-même, et qui lancées avec la canne, fendent l’air comme un trait. »
Extrait Le pêcheur à la mouche artificielle, Charles de Massas, 1852